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le manitoba et le nord–ouest

mente : c’est de mettre lui-même le feu aux herbes, afin de faire le vide autour de lui.

C’est au moment où nous allions tirer le rideau du sleeping que le premier feu de prairie est signalé. Nous nous précipitons sur la passerelle du wagon pour admirer ce spectacle qui a pour nous tout l’attrait de la nouveauté. L’absence de vent ne propage que lentement l’incendie, mais la flamme dessine sur le sol de curieuses arabesques de feu et éclaire le ciel noir de lueurs fantastiques et sinistres tout à la fois.

C’est au beau milieu de la nuit que nous arrivons à Indian-Head (Tête d’Indien), station qui dessert la belle ferme modèle du major Bell. Bien que des chambres nous aient été réservées dans le modeste hôtel de ce petit trou, nous ne trouvons pas notre compte. L’hôtelier, assez embarrassé, nous explique que, par suite de la venue du gouverneur général, en tournée sur la ligne nouvelle du Pacifique, il a eu quelques rares visiteurs, et cela a suffi pour emplir ses appartements. On se case comme on peut ; le garçon, pour nous fournir les éléments d’une literie, pénètre dans les chambres déjà occupées et en rapporte, tantôt une couverture prise sur le lit d’un client, tantôt un oreiller que nous lui voyons enlever sans plus de façon de dessous l’oreille d’un dormeur qui n’a pas le temps d’ouvrir l’œil et de s’ébahir d’un tel procédé. Grâce à ce sans-gêne bien américain, qui semble tout naturel parce qu’il est essentiellement pratique, les moins bien partagés d’entre nous peuvent s’organiser un campement dans le salon. Nous ne quitterons pas cet hôtel sans une mention particulière sur la couleur de son eau de toilette. Cette eau, qui est d’un noirâtre effrayant, nettoie peut-être ceux qui sont sales, mais elle salit sûrement ceux qui sont propres.

Le lendemain matin, le major Bell vient nous prendre en voiture pour nous conduire à son habitation située à un mille de distance. Sa jeune femme nous fait un accueil empressé et nous invite, à nous asseoir à une table fort bien garnie. D’excellents vins de France, comme nous n’en avions pas bu depuis longtemps, coulent à flots pressés dans nos verres, et le major nous raconte comment, par suite de la cherté des transports et des tarifs élevés de la douane, chaque bouteille de Sauterne lui revient à 4 piastres (20 francs).

Après déjeuner, nous visitons la ferme, dont la superficie n’est pas