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race métisse, et renfermait plus de tentes et de cabanes que de maisons. Ces Métis, descendants des Coureurs de bois ou Bois-Brûlés canadiens qui avaient contracté union avec des femmes sauvages, se soulevèrent, sous la conduite de Riel, contre le nouveau régime qu’ils supposaient devoir porter atteinte à leurs droits. Il ne fallut rien moins que l’influence de Mgr Taché et l’intervention des agents de la Compagnie pour les apaiser et arriver à un compromis.

Fort-Garry prit alors le nom de Winnipeg et se transforma complètement en devenant chef-lieu de la nouvelle province. En 1881 il s’y trouvait déjà 7,000 habitants, et la ville, qui était reliée aux États-Unis par un chemin de fer, progressait avec rapidité et sagesse, lorsque la spéculation sur les terres engendra un boom, bientôt suivi d’un krach, qui jetèrent le bouleversement dans le pays. Dans son remarquable ouvrage, sur le Canada et l’émigration française M. Fr. Gerbié a indiqué les causes de cet agiotage effréné dont on ne trouve d’exemple que sur le sol d’Amérique.

« Dès que le gouvernement canadien eut largement subventionné une compagnie puissante et sérieuse afin de parachever le chemin de fer canadien du Pacifique, les émigrants de tous les pays se portèrent en foule dans le Nord-Ouest. Chaque semaine ils arrivaient par milliers dans les rues de Winnipeg. Ce fut alors que la spéculation s’établit sur une échelle gigantesque. Des compagnies canadiennes, américaines, européennes achetaient du gouvernement canadien et de la Compagnie du chemin de fer du Pacifique d’immenses étendues de terrain, dans l’espoir de les revendre bien vite et de réaliser ainsi de gros bénéfices. Le gouvernement fédéral et la Compagnie du chemin de fer du Pacifique ne vendaient en effet leurs terres qu’à raison de 1 piastre, 1 1/2 piastre l’acre, et les divers spéculateurs les revendaient quelquefois 4 et 5,000 piastres l’acre. Les terrains acquirent une valeur fabuleuse. De 1881 à 1882 la valeur de la propriété foncière s’éleva de 9 à 30 millions de piastres. Des fortunes furent faites en un jour. Tel émigrant qui était arrivé dans le pays quelques mois auparavant avec quelques centaines de dollars, quelquefois même avec rien du tout, se trouvait riche de plusieurs centaines de mille francs.

On vit alors tous les commerçants de Winnipeg confier à leurs commis la direction de leurs maisons de commerce et établir des agences pour la vente des terrains. Dans Main sreet, la principale rue de Winnipeg, on ne compta pas moins de 300 agences ainsi établies par eux. Le bruit fait par ces fortunes rapides et répercuté par les échos des grands lacs ne tarda pas à se répandre à travers les provinces orientales du Canada et, dès le commencement de l’année 1882, des sommes considérables furent envoyées de toutes les provinces à Winnipeg pour être placées en achat de terrains. Un jour la banque des Marchands reçut en dépôt au-dessus de 2 millions de dollars.

M. Gerbié décrit ensuite l’état d’effervescence causé par le dieu Dollar et le spectacle étrange auquel il fut donné d’assister :

La fièvre de la spéculation atteignit alors son état aigu. Les hôtels furent envahis,les gares encombrées ; des tentes provisoires abritèrent des milliers de personnes. Ce