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quatre petites fenêtres. Point n’est besoin d’ajouter que le confortable n’habite pas cette demeure et que ce n’est pas une existence couleur de rose que mènent les employés, ou même l’unique préposé à la station, qui remplit tout à la fois les fonctions de chef de gare, aiguilleur, buraliste, facteur et bien d’autres encore.

À quelque distance de la station de Bonheur, le train s’arrête tout à coup en pleine forêt. Tout le monde descend et l’on constate que les rails, par suite de la dilatation de la chaleur, ont dévié à tel point de la ligne droite qu’ils forment un angle assez prononcé. Quelques mètres de plus et nous étions précipités dans un torrent.

Tout le personnel du train, les émigrants, des voyageurs même s’arment de grandes perches ou de troncs d’arbres pendant le long du remblai, pour redresser les rails et les traverses qui ne sont que posées sur un terrain sablonneux. Après une grande heure d’efforts ininterrompus la voie reprend à peu près une position rectiligne. Le train se met alors en mouvement et passe heureusement l’endroit critique tandis que les voyageurs, qui s’étaient dispersés pour cueillir des bluets (myrtilles) ou de l’écorce de bouleau se précipitent en toute hâte pour escalader les marches des wagons. Pendant ce temps-là le train file toujours. Nous nous comptons : personne de nous n’est resté dans la savane.

En Amérique on procède toujours avec ce même égoïsme. Aux stations on n’avertit presque jamais les voyageurs du départ du train. Il n’y a pas de cloche dans les gares. Seule, la locomotive en est munie, mais ne s’en sert que comme signal d’alarme. Le chef de gare ne donne point son coup de sifflet et il n’y a pas d’employés pour fermer les portières par la bonne raison qu’il n’y a pas de portières aux wagons. Le conducteur du train dit bien quelquefois : All abord (tout le monde en voiture), mais d’une voix si modérée qu’il n’y a guère que dans son voisinage qu’on puisse l’entendre. Le train part sans bruit ; tant pis pour ceux qui ont commis l’imprudence de s’éloigner, si peu que ce soit. Ils en sont quittes pour attendre le train suivant, c’est-à-dire un jour ou deux, sur les lignes peu fréquentées.

Nous passons de très grand matin à Rat Portage, petite ville déjà célèbre par ses minoteries, qu’alimentent des pouvoirs d’eau considérables et qui vise à jouer le rôle et à prendre l’importance de Minneapolis, la métropole des moulins aux États-Unis. Lorsque le jour