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comme va la vie, sans enchaînement systématique et sans déploiement d’aventures, une œuvre de passion réfléchie, mortellement triste et qui aboutit à un suicide intellectuel auquel les auteurs ont heureusement échappé. La vie de Jules de Goncourt surtout, moins sa fin qui fut presque aussi terrible mais qui fut autre, semble calquée sur celle de son héros. Il est vraisemblable que, dans les derniers jours de sa vie, Jules s’y revoyait tout entier, quand il feuilletait ce livre dans une circonstance que son ami, M. Ph. Burty, a notée avec éloquence : « Peu de semaines avant la mort de Jules, j’allai à Auteuil prendre de ses nouvelles. Je ne pus que serrer la main d’Edmond qui, depuis plusieurs heures, se tordait, sur son lit, dans les tortures d’une colique hépatique. En descendant, je poussai la porte de la salle à manger. Jules lisait, penché sur la table. Son visage n’avait rien de changé, sinon qu’il avait jauni, que la bouche purpurine comme celle d’une blonde, était pâle, que les yeux n’avaient point de flammes et que la physionomie était comme est la lueur d’une lampe qu’on a baissée. Il n’attendit pas que j’aie parlé. Il me dit : “Bonjour, Burty. Ça va bien ? Je lis mes livres… Il n’y a que cela qui m’amuse.” — Et qu’est-ce que vous lisez, Jules ? — “Mes Hommes de lettres…”

« Je me penchai. C’était bien leurs Hommes de lettres… Sa main maintenait le livre entr’ouvert à la page 64, peut-être précisément à ce passage… que je viens de retrouver dans mon exemplaire, souligné par moi, au crayon rouge, le jour même de cette visite qui m’avait navré : “Cela qui agit si peu sur la plupart, les choses, avait une grande action sur Charles. Elles étaient pour lui parlantes et frappantes, comme les personnes. Elles lui semblaient avoir une physionomie,