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l’Empire. La Lorette, qui portait pour titre générique, dans le journal : Lèpres modernes, est une analyse qui semble écrite à l’eau-forte. Elle est de style preste, d’une grande âpreté de touche et de rudesse caustique. En trottant des yeux à travers cette débauche d’observation crue et de style, on croit assister, dans l’amphithéâtre d’un hôpital, à l’ablation d’un ulcère. Sous le verre grossissant des analystes, c’est bien là l’image de la lorette, premier sujet de la trinité honteuse qui se complète par le loret et le vieux monsieur. Après viennent les chapitres consacrés aux messieurs de passage, à la bonne et à papa et maman.

Un peu d’emportement ne messied pas dans un tel sujet ; les auteurs vont parfois jusqu’à la cruauté. Ils n’ont pas de pitié pour ces créatures malfaisantes dont la mode s’emparera bientôt et qui, après avoir été montrées besognant le dos dans la boue, allaient être recueillies par de bonnes âmes littéraires, être pardonnées et béatifiées parce qu’elles avaient, jour et nuit, fait semblant d’aimer.

La Lorette est dédiée à Gavarni dont l’influence est sensible. Il n’était que juste qu’il illustrât sa première page. Il a représenté l’héroïne debout, en tenue de duelliste, parée, dans une crinoline feuilletée de volants. Mais, sous les plis craquelants de la soie, se dessine, mince et serpentine, la structure à nu de la femme. Cette image concrète toute la philosophie de la lorette : ses dessus et ses dessous.

Ce petit livre eut, en son temps, une vogue surprenante. Il coûtait dix sous et Dentu en vendit plus de six mille exemplaires en quelques jours. Les premiers tirages sont devenus fort rares. Il existe deux exemplaires curieux. Celui de la bibliothèque d’Auteuil renferme le dessin original de Gavarni avivé d’aqua-