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simplement, réimprimées dans Pages retrouvées les premières notes marquantes qu’aient écrites les Goncourt « devant la beauté et l’originalité de ce pays de soleil. » Elles ont, dans leur vie d’artistes, une grande importance parce que c’est elles qui les ont enlevés à la peinture et qui les ont faits des hommes de lettres. On y voit de jolis détails griffonnés d’un mot sur le papier avec un crayon qui donne, autant qu’un pinceau, la sensation de la couleur : « Quelle caressante lumière ! quelle respiration de sérénité dans ce ciel ! comme ce climat vous baigne dans sa joie et vous nourrit de je ne sais quel savoureux bonheur ! La volupté d’être vous pénètre et vous remplit et la vie devient comme une poétique jouissance de vivre. Rien de l’Occident ne m’a donné cela ; il n’y a que là-bas où j’ai bu cet air de paradis, ce philtre d’oubli magique, ce Léthé de la patrie parisienne qui coule si doucement de toutes choses ! Et, marchant devant moi, je revois derrière la rue sale de Paris où je vais et que je ne vois plus, quelque ruelle écaillée de chaux vive, avec son escalier rompu et déchaussé, avec le serpent noir d’un tronc de figuier rampant tordu au-dessus d’une terrasse. »[1]

Les jeunes voyageurs étaient si absolument conquis par la beauté de l’Algérie qu’ils avaient l’intention d’y revenir pour l’habiter toujours. Leur enthousiasme était si vif qu’ayant entendu parler d’une expédition qu’on préparait pour Tombouctou, au printemps suivant, ils s’empressèrent d’écrire leurs noms sur le registre des explorateurs. Ce beau projet tomba dans le sable.

Ils se rembarquèrent pour la France le 10 décembre

  1. Journal, t. I, p. 62.