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marque des Goncourt ? Le rapprochement, même lointain, avec l’écrivain qui a été l’évocateur le plus puissant, le coloriste le plus hardi, le génie le plus indomptable que les lettres françaises aient produit, semble s’imposer avec tant de justesse qu’il a frappé presque tous ceux qui ont écrit sur l’œuvre des Goncourt. M. Lemaître entre autres : « L’incorrection travaillée de ces artistes si savants fait songer à l’incorrection ingénue de cet ignorant de Saint-Simon. Ils n’ont vraiment souci que de peindre ; la phrase va comme elle peut. Ils ignorent les scrupules des grammairiens. » Et il ajoutait pour conclure : « Je ne dis pas que ce style soit le meilleur, mais c’en est un ! »

Tout est là. L’artiste qui a créé une forme de son art, l’écrivain qui a découvert une façon de voir qui produit naturellement une façon de rendre, — car l’idée emporte son expression avec elle — comptent seuls dans le domaine de l’esprit. N’eussent-ils suggéré qu’un frisson nouveau, comme Baudelaire, ils sont mille fois plus intéressants que tous les copistes à la suite pratiquant des phrases apprises et — sous prétexte de style et de correction — redonnant à l’infini des épreuves plus faibles des clichés qu’on leur a transmis. L’artiste ne se mesure qu’à la part de nouveauté qu’il apporte à l’art ; il épuise la source qu’il a découverte et la caravane d’imitateurs qui vient après lui ne trouve plus qu’un sol desséché.

Voilà pourquoi les Goncourt occupent une place dans l’art moderne. Ils ont pétri leur œuvre d’une essence si personnelle que quatre lignes des Goncourt suffiraient pour les faire pendre par les puristes et pour les faire admirer par les lettrés. Oser est leur marque d’artistes ; mais l’audace réfléchie est la forme supérieure du courage. Même s’il n’avait pas les dessous