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grand-père, le député de Bassigny en Barrois à la Constituante, un petit vieillard bredouillant des jurons dans sa bouche édentée, et perpétuellement fumant une pipe éteinte, qu’il rallumait à chaque instant avec un charbon saisi au bout de petites pincettes d’argent, — une canne sur sa chaise, à côté de lui. Un rude homme qui n’avait pas toujours eu sa canne sur sa chaise et qui, dans son château de Sommérecourt dont il fatiguait la cantonade des colères de sa voix, avait façonné et formé, à coups de canne, une domesticité qu’il avait trouvé le moyen de s’attacher ainsi. La vieille Marie-Jeanne remémore encore, avec un ressouvenir affectueux et tendre, les coups de canne distribués aux uns et aux autres. Elle-même n’a nullement gardé rancune d’avoir été, sur les ordres de notre grand-père, plusieurs fois plongée dans la pièce d’eau, pour lui rafraîchir le sang, quand elle éprouvait la tentation de se marier. Après tout, en ce temps, ces coups de canne étaient considérés comme une familiarité de maître à l’endroit du valet et devenaient un lien entre eux. Du reste, un chef de famille pas commode ; notre père qui était chef d’escadron à vingt-cinq ans et qui passait pour un vrai casse-cou parmi ses camarades de la Grande Armée, racontait qu’il lui arrivait de garder dans sa poche, huit ou dix jours, une lettre de son père, avant d’oser l’ouvrir. »[1]

Il reste du constituant trois portraits gravés[2], dont un le montre « avec son petit œil despotique, son immense nez aquilin, l’avance énergique du bas de son profil ». Ce médaillon fait partie de la Suite des Législateurs. Dessiné par Perrin et gravé par Guersant, il porte, encastré dans la bordure et cimé d’une couronne

  1. T. I, p. 198.
  2. Collection de portraits révolutionnaires de M. Soliman Lieutaud.