Mon cher Goncourt, nous vous aimons tendrement et vous nous manquez. Voilà !
M. Edmond de Goncourt à M. A. Daudet :
Votre lettre me rend malheureux comme les pierres. Elle est si gentille, si aimable, si tendre pour le vieil homme, et je me sens si veule, si désespérément lâche à l’endroit d’un déplacement, de la couchée dans un lit qui n’est pas le mien. Puis, au fait, avez-vous un édredon ? Concevez-vous que, par ce temps de chaleurs tropicales, j’ai froid aux pieds ? Oui, il y a, dans mon individu, de la température arctique, et mes veines charrient, je crois bien, des microbes d’ours blancs, et sauf, sous la neige de mes cheveux blancs, un peu de chaleur cérébrale, c’est tout ce qu’il y a en moi au-dessus de zéro, et cela m’enlève tout ressort, toute volonté pour la locomotion, pour le mouvement, en même temps que j’ai toujours peur de me trouver malade chez les autres.
Enfin, vrai de vrai, je me regarde comme un être tout à fait dégoûtant, ignoble, une épluchure d’homard, quoi ! de ne pas être chez vous après une lettre aussi caressante que celle que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, monsieur et ami.
Enfin je vais tâcher de m’exciter, de me monter, de m’entraîner par la lecture de quelque voyage autour du monde… Blague sous le bras, je vais tâcher d’aller estiver un peu chez vous… mais faut, faut que je prenne mon élan !
J’ai envie d’embrasser et l’homme et la femme et les enfants.
M. E. de Goncourt à Mme A. Daudet :
Une de ces nuits passées, crac, je me réveille avec crampes d’estomac, sueurs, etc., etc., tout l’exorde d’une petite attaque