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Le cabinet d’Extrême-Orient a été bien souvent inspirateur pour M. Edmond de Goncourt. Avant d’écrire n’importe quel morceau d’un livre, il a pris l’habitude de s’y renfermer un instant pour chercher à surprendre les souplesses de l’art japonais et accorder son style au la de ses harmonies. Parfois aussi il y ratiocine sur les questions élevées de l’art et il écrit, un jour, sur un carnet, ce morceau inédit :

Vendredi, 22 janvier 1875. — C’est paradoxal vraiment, le prix des choses ! J’ai là, devant moi, un bronze japonais, un canard qui a la parenté la plus extraordinaire avec les animaux antiques du Vatican. Si on en trouvait un comme cela dans une fouille d’Italie, il se paierait peut-être dix mille francs. Le mien m’a coûté cent vingt francs.

À côté de ce bronze, mes yeux vont à un ivoire japonais : un singe costumé en guerrier du taïcoun. La sculpture de l’armure est une merveille de fini et de perfection menue : c’est un bijou de Cellini. Suppose-t-on ce que vaudrait ce bout d’ivoire si l’artiste italien l’avait signé de son poinçon ! Il est peut-être signé d’un nom aussi célèbre là-bas, mais sa signature ne vaut encore que vingt francs en France.

Je ne suis pas fâché d’avoir introduit un peu, beaucoup de japonaiserie dans mon dix-huitième siècle. Au fond, cet art du dix-huitième siècle est le classicisme du joli ; il lui manque l’imprévu et la grandeur. Il pourrait, à la longue, devenir stérilisant. Et ces albums, et ces bronzes, et ces ivoires ont cela de bon qu’ils vous rejettent le goût et l’esprit dans le courant des créations de la force et de la fantaisie.

Et de ces choses, les Goncourt, avec Ph. Burty, ont été les premiers, en France, à subir le charme et à apprécier la délicatesse. En 1851, ils inventaient déjà, pour leur livre de début, un salon japonais qu’ils décrivaient[1]. Alors quelques pièces apportées en France par hasard, évoquaient en eux le souvenir de la petite collection que s’était faite Marie-Antoinette, à Trianon.

  1. En 18, éd. Dumineray, p. 124.