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tiquement les mêmes. Ils ressentaient des sympathies ou des antipathies pareillement soudaines, et, allaient-ils quelque part, ils sortaient de l’endroit ayant, sur les gens qu’ils y avaient vus, une impression toute semblable. Non seulement les individus mais encore les choses, avec le pourquoi irraisonné de leur charme ou de leur déplaisance, leur parlaient mêmement à tous les deux. Enfin les idées, ces créations du cerveau dont la naissance est d’une fantaisie si entière et qui vous étonnent souvent par le on ne sait comment de leur venue, les idées d’ordinaire si peu simultanées et si peu parallèles dans les ménages de cœur entre homme et femme, les idées naissaient communes aux deux frères qui, bien souvent, après un silence, se tournaient l’un vers l’autre pour se dire la même chose… Mais aussi, il faut le dire, entre les deux frères le resserrement de la fraternité était fait par quelque chose de plus puissant encore… Ce qu’ils faisaient semblait si peu appartenir à aucun en particulier que les bravos s’adressaient toujours à l’association et qu’on ne séparait jamais le couple dans l’éloge ou le blâme. C’est ainsi que ces deux êtres étaient arrivés à n’avoir plus à eux deux. — fait presque unique dans les amitiés humaines, — à n’avoir plus qu’un amour-propre, qu’une vanité, qu’un orgueil, qu’on blessait ou qu’on caressait à la fois chez tous les deux. »[1]

Ces pages, qui sont de la biographie pure, donnent l’impression d’un style recouvrant des dessous d’homme. Dans les autres parties du livre, la trame, sans doute, est moins serrée, l’auteur rend la main au récit pour qu’il se développe à son aise dans les limites précises d’une action circonscrite et sans invention ;

  1. Les Frères Zemganno, p. 232 et suiv.