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XXVI

Les Frères Zemganno. — Madame Saint-Huberty.

On lira plus tard dans les mémoires inédits :

Mercredi, 27 décembre 1876. — Aujourd’hui que mon livre de la Fille Élisa est presque terminé, commence soudain à apparaître et à se dessiner dans mon esprit le roman avec lequel je rêve de faire mes adieux à l’imagination.

Je voudrais faire deux clowns, deux frères s’aimant comme nous nous sommes aimés, mon frère et moi : ils auraient mis en commun leur colonne vertébrale et chercheraient, toute leur vie, un tour impossible qui serait pour eux ce qu’est, pour un savant, la trouvaille d’un problème de la science. Là-dedans beaucoup de détails de l’enfance du plus jeune et la fraternité du plus vieux, mêlée d’un peu de paternité !

L’aîné, la force ; le jeune, la grâce, avec quelque chose d’une nature-peuple poétique qui trouverait son exutoire dans le fantastique que le clown anglais apporte au tour de force.

Enfin le tour longtemps irréalisable par des détails du métier serait trouvé. Ce jour-là, la vengeance d’une écuyère dont l’amour aurait été dédaigné par le plus jeune, le ferait manquer. Du reste, la femme n’apparaîtrait qu’à la cantonade. Il y aurait chez les deux frères une religion du muscle qui les ferait s’abstenir de la femme et de tout ce qui diminue la force.

Nous avons essayé de dégager plus haut, dans les chapitres consacrés à la vie des Goncourt, la part d’autobiographie que le frère survivant avait introduite dans les Zemganno. C’est le second livre d’imagination qu’Edmond ait publié après la mort de Jules, quand, oubliant le serment qu’il s’était fait à lui-même de ne plus écrire, il fut ramené à la table de travail par l’obsession des souvenirs. Retracer l’histoire de leur vie commune et de leurs travaux fraternels était une façon de tromper la tristesse et de prolonger, au delà de la