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et tributaires de ces directs héritiers de Balzac et de Diderot. »[1]

Les idées nouvelles et les façons personnelles de voir ont dû, pour s’exprimer, se créer une forme. Aussi les Goncourt ont-ils été amenés à forger, à leur image, une langue criante de vérité, tout imprégnée de moderne et qui respire. Celle du dix-septième siècle n’a laissé saillir ses muscles que sous les violences de Saint-Simon ; elle ne suffit plus aux écrivains et aux penseurs qui veulent rendre les perceptions les plus délicates, les nuances des nuances et les idées les plus subtiles. Pour donner aux sensations l’accent pittoresque, pour ralentir ou éperonner les idées, ouater ou modeler les phrases, les accessions nouvelles sont parfois nécessaires et ne peuvent attrister que les régents de grammaire roulés et englués dans les bandelettes de la tradition.

Les Goncourt ont-ils été au delà de l’indispensable dans leur razzia d’innovations ; ont-ils, de parti pris, en haine des formes courantes, par amour de l’étrange et assoiffement du nouveau, parfois sauté des barrières inutiles ? — C’est possible… Le fait est que, pour ne pas amoindrir leur pensée, ils ne se sont pas fait faute de brusquer la langue ; mais ils ont toujours su lui conserver la clarté et le mouvement qui sont ses qualités essentielles. Tout fourmille de vie sous l’éclatante réverbération de leur phrase ; ils sont des magiciens ès lettres.

Au reste, grand ou petit, chacun écrit comme il peut et comme il sent, et le style est la physionomie de la pensée ; pour chacun, le bonheur de l’expression découle tout naturellement de la netteté de l’image reçue. Des

  1. Le Figaro, 21 octobre 1887.