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grand pantin et vous retenant pour ne pas éclater. Ce doit être une scène impayable. Le papier me manque. Pas un mot de plus, mais le tout à vous, sérieux et dévoué de votre ami
Paul de Saint-Victor.

Ma coqueluche va mieux ; mais vraiment j’en ai honte. J’ai l’air de l’avoir attrapée pour me rajeunir.

Paul de Saint-Victor qui, par ordre de l’autorité supérieure, — comme n’eût pas manqué de dire « le chou colossal » — n’avait pas pu terminer, dans la Presse, sa suite d’articles sur les Misérables, donnait à ses amis, en juin 1862, époque de la publication des derniers volumes, le sens des feuilletons qu’il lui était interdit d’écrire :

Vous me faites toujours grand plaisir quand vous goûtez quelque chose de moi. Je n’ai pas de signe plus sûr d’avoir bien fait. Tandis que vous labouriez la géologie,[1] je finissais les Misérables. Je crois que vous trouverez ces quatre derniers volumes fort supérieurs aux premiers. Le volume de la barricade est d’une beauté poignante. On reste parqué, pendant quatre cents pages, dans un enclos de moellons et la terreur ne cesse de grandir. Cela finit par une tuerie colossale. Je vous recommande d’avance la mort d’Éponine et celle du père Mabeuf. Éponine surtout qui devient la figure la plus humaine et la plus sympathique du livre. Il y a là de ces notes qui font tressaillir : « Oh ! que je suis heureuse, tout le monde va mourir ! » et sa dernière parole : « Et puis, tenez, monsieur Marius, je crois que j’étais un peu amoureuse de vous ! »[2]

Le vieux Gillenormand qui vous plaisait déjà, achèvera de vous conquérir. Ses speachs rococo, aux noces de Marius, ont le fouillis d’un plafond de Boucher. Le petit Gavroche prend son

  1. Jules de Goncourt avait écrit qu’il était plongé dans la lecture du Géos du docteur Méray : « Je suis tombé sur deux gros volumes, où je m’amuse à regarder la création du monde, à peu près comme un enfant regarderait le bon Dieu en exercice dans une lanterne magique. Je patauge avec volupté dans le système fort éblouissant d’un homme fort inconnu qui fait sortir le monde d’un bouillonnement d’eau sur le feu. » Lettres, p. 186.
  2. Voir dans Victor Hugo, par Paul de Saint-Victor, 1 vol. in-8°, que nous avons publié à la librairie Calmann Lévy, le premier mais unique article sur les Misérables.