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3 janvier, vendredi.

Moi mêmement, mon cher ami, je vous la souhaite légère.

Si 1879 ressemble à 1878, je ne verrai pas 1880. J’en crèverai ! Ah ! par quels embêtements j’ai passé et je passe ! L’état de mes affaires est déplorable et mon sort (qui ne peut être que très mauvais) sera définitivement fixé dans deux ou trois mois ? C’est pour cela que je ne vais pas à Paris. Il est possible que je reste encore ici jusqu’à la fin de février.

Malgré tout, je travaille : actuellement je suis perdu dans la métaphysique — chose peu gaie — et je prépare mes deux derniers chapitres[1].

Pourquoi, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, ai-je rêvé tout le temps (de) votre frère ?…

Vous seriez bien gentil de m’écrire longuement pour me dire ce que vous devenez. Ce roman, avance-t-il ?[2] Quoi de neuf dans notre monde ?

Je vous embrasse.
Votre
G. Flaubert.

Sainte-Beuve qui assistait régulièrement au dîner de Magny, a été surpris et saisi dans le Journal avec un grand bonheur. Est-il possible de mieux marquer sa manière que dans les deux croquis que voici : « Quand j’entends Sainte-Beuve avec ses petites phrases toucher à un mort, il me semble voir des fourmis envahir un cadavre ; il vous nettoie une gloire en dix minutes et laisse du monsieur illustre un squelette bien net. » — « La petite touche, c’est le charme et la petitesse de la causerie de Sainte-Beuve. Point de hautes idées, point de grandes expressions, point de ces images qui détachent en bloc une figure. Cela est aiguisé, menu, pointu. C’est une pluie de petites phrases qui peignent à la longue, et par la superposition

  1. Il s’agit de Bouvard et Pécuchet, livre qui parut inachevé, après la mort de l’auteur, en 1881.
  2. Les Frères Zemganno.