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l’accent sincère essayait en vain de dominer le tumulte, s’en allait inentendue, avec ses trésors de tendresse, de science, ses hardiesses de novatrice, ses vivacités de parisienne… Dans le foyer allumé et désert, sentant la solennité et le désastre, les deux auteurs pâles d’indignation, frémissants, marchaient à grands pas et s’arrêtaient avec des soubresauts nerveux devant cette question qu’on se pose dans toutes les injustices de la destinée : “Pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?” Forts de leur conscience d’écrivains, de leur vie si artistiquement laborieuse, ils essayaient de se tenir, de se roidir, de cacher, sous un sourire d’amertume résignée, la cruelle émotion qu’ils éprouvaient ; mais, pour ceux qui savent lire sous la grimace mondaine, il était facile de voir en eux un découragement immense, de deviner quelle détente de fatigue, de dégoût la solitude amènerait après tout ce bruit. »

Il pousse parfois une fleurette au milieu des ruines. À cette cinquième et avant-dernière représentation d’Henriette Maréchal, se démenait, au-devant d’une loge, et applaudissait frénétiquement un jeune homme, d’une pâleur chaude, casqué de cheveux noirs dont les mèches rebelles tombaient sur l’ombre de son visage, le monocle incrusté sur un œil enflammé, fémininement nerveux et que tout le monde dans la salle paraissait connaître et aimer. Une jeune fille, frappée et attirée par son attitude et son étrangeté, demanda à sa mère le nom de l’enthousiaste. Mme Alphonse Daudet voyait là, pour la première fois, son futur mari combattant pour leur futur ami Edmond de Goncourt.

Dix-huit ans plus tard, les passions qui avaient entouré la naissance violente d’Henriette avaient eu le temps de se calmer. Les mauvaises fées du baptême étaient rentrées dans leurs trous. La jeunesse française,