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grâce indicibles, ne traversa pas la rampe. Quand les principaux acteurs quittaient la scène, on échangeait, dans la salle, des apostrophes et des injures. Le tumulte recommença de plus belle quand Mme Maréchal se jeta dans les bras de Pierre de Bréville. Le coup de pistolet fut suivi de huées et d’applaudissements, et quand M. Got vint faire connaître, suivant l’usage, les noms des auteurs, il demeura debout dix minutes devant la rampe, attendant en vain un instant de répit.

M. Édouard Thierry raconte que Me Marie, un des esprits les plus graves et les plus corrects qu’on pût rencontrer et qui, président du Conseil judiciaire de la Comédie, lui tenait par les liens les plus étroits, « faisait rage pour couvrir la voix de Got et l’empêcher de faire entendre le nom des coupables. » Cette opposition inusitée, il la faisait par respect pour une tradition fort ancienne. Jadis, au temps épique où le parterre avait fait accepter sa juridiction suprême, refuser d’entendre le nom d’un auteur était condamner définitivement son ouvrage. Il ne reparaissait plus. Got tourna habilement la difficulté, lança enfin dans la tempête les noms des Goncourt ; l’entendit qui put… mais il avait été prononcé.

Jules Vallès n’était pas, ce jour-là, dans une veine de révolution. Il combattit, par hasard, pour la bonne cause, et, rompant en visière contre tous ses amis, reniant Pipe-en-bois, il écrivit, le lendemain, dans la Chronique de Paris : « Il y a eu tapage, fureur, scandale… tant mieux ! Il est bon que le cri de la fantaisie ou le mugissement de la cabale déchire les oreilles et rie au nez de la tradition ! Nous sommes hier entrés dans le temple, il y a eu des sacrilèges et de la casse, on a chanté sur les planches du saint parvis ! Jamais la Comédie française n’avait assisté à une