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salles de la Charité, suivant, de lit en lit, au milieu des sœurs, des infirmières, des internes et des bénévoles, la clinique du docteur Velpeau, et, crispés par une contraction nerveuse, essayant de surmonter l’impression de dégoût et de rester en possession d’eux-mêmes à la vue des appareils qu’on lève, à l’odeur des plaies suppurantes. Les voilà, à toutes les heures du jour et de la nuit, se soumettant studieusement à la vie monotone de l’hôpital. En vain, ils eussent voulu s’aguerrir au spectacle de la souffrance. Pour ces deux natures d’artistes affinés, d’une excessive susceptibilité de sensation, recevant douloureusement, comme des écorchés, la perception suraiguë des choses, l’hôpital produisait un véritable écœurement. La fade infection des salles, ils l’emportaient avec eux quand ils sortaient ; la vue des choses leur restait présente, avec la netteté de l’image fixée sur un objectif. Leur esprit saignait des plaies que le chirurgien avait fait crier devant eux. Et c’est ainsi, sous l’obsession de ce qu’ils avaient vu et senti, que les Goncourt ont écrit, avec des mains pieuses, les chapitres d’une vérité concentrée qui forment un cadre poignant à la figure immatérielle et charmante de sœur Philomène.

Dans ce milieu de douleur, on aperçoit vaquant aux devoirs de sa charge, une forme svelte, cerclée d’un tablier blanc et surmontée de la grande cornette qui se silhouette, sur le fond sombre, comme les ailes d’un vaisseau. Elle seule se meut doucement autour du lit des moribonds immobiles. Elle semble la dépositaire de leur souffle, l’influence secourable qui doit les empêcher de mourir. On voit son geste, on sent son haleine, on surprend son âme où veille doucement un sentiment humain, pudique et tendre, à peine saisissable.