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aux esprits libres

toutes les expressions bien bâties, qui avaient jadis droit au respect général et qui en sont réduites aujourd’hui à faire le trottoir, comme de vulgaires prostituées.

Ah ! que cette horreur du mot propre est bête, dangereuse — et inutile  ! Qu’est indécent et saugrenu cet amour de la périphrase et du sous-entendu qui joue dans la conversation le rôle d’énigme dont tout le monde finit toujours par trouver la clef  ! « Vilains hypocrites  ! s’écrie Denis Diderot avec une indignation sincère  ; foutez comme des ânes débâtés, mais permettez-moi de dire foutre. Je vous passe l’action, passez-moi le mot. Vous prononcez hardiment tuer, voler, trahir, et l’autre vous ne l’oseriez qu’entre les dents  !… Il est bon que les expressions les moins usitées, les moins écrites, les mieux tues, soient les mieux sues et les plus généralement connues. Aussi, cela est  ; aussi, le mot futuo n’est-il pas moins familier que le mot pain ;  nul âge ne l’ignore, nul idiome n’en est privé  ; il a mille synonymes dans toutes les langues, il s’imprime en chacune sans être exprimé… et le sexe qui le fait le plus, a usage de le taire le plus. »

Que répondraient à cela nos Précieuses — si on les consultait  ? Que Diderot était un écrivain ordurier, qui aimait les vilains mots comme certaines gens aiment les mauvaises odeurs, et qu’aujourd’hui on le condamnerait à deux ou trois années de prison pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, » — sans compter deux ou trois autres années pour « outrage à la religion catholique. »

J’y consens — pour un instant. Mais Michel de Montaigne  ? Oserez-vous, pécores, dire de ce gentilhomme périgourdin ce que vous avez niaisement reproché au fils de l’ouvrier coutelier de