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aux esprits libres

la parfaite innocuité de sa Justine) si ce misérable avait écrit en meilleur français  : les livres dangereux sont les livres mal faits. Le libre langage de nos pères, qui effarouche tant de ridicules pudeurs, vaut cent fois mieux que notre phraséologie bégueule — et en même temps embrenée d’équivoques obscènes — dont ils se seraient si justement crevés de rire. Langue châtrée, peuple castrat. Où sont nos couilles du temps jadis  ? Qu’a-t-on fait du français médullaire, si substantiel et si savoureux, de Mathurin Régnier, d’Agrippa d’Aubigné, d’Amyot, de Rabelais, de Montaigne, de Brantôme, et de tant d’autres écrivains qui besognaient fort et dru  ? On l’a remplacé par le petit français d’un tas de petits écrivassiers, les uns membres — émasculés — de l’Académie, les autres dignes de le devenir. Et voilà pourquoi notre langue est muette, d’éloquente qu’elle était autrefois  !

C’est à ne s’y pas reconnaître dans cette tour de Babel moderne, où l’on est arrivé, par le bégueulisme, à la confusion du langage. Jamais on n’a aussi mal écrit, ni aussi mal parlé. L’hôtel de Rambouillet, qu’on pouvait croire exproprié et démoli pour cause de clarté publique, existe avec plus de locataires que du temps de la Guirlande de Julie ;  il y en a depuis le sous-sol jusqu’aux combles, maîtres et domestiques mêlés, Houssaye sur Lamartine, Musset sur Murger, Mérimée sur Aubryet, Janin sur Sainte-Beuve. Ces Précieuses mâles — du moins du sexe masculin, car mâles emporte avec soi une idée de vigueur que je ne veux pas attacher au nom de ces péronnelles en culottes, — ces Précieuses, à l’exemple de leurs aînées en jupons, fessées à tour de bras par Molière, ont frappé de proscription tous les mots virils de notre langue,