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ce qu’il faut être pour se faire aimer, séduire les hommes et les dominer ? — Il faut être sotte, vaine, fausse et flatteuse. Les hommes ne tiennent pas à ce qu’on les aime avec dévouement ; ils veulent qu’on les adore en aveugles : pour leur plaire, il faut feindre de les regarder comme infaillibles, se moquer d’eux et faire semblant de les admirer ; leur dire qu’ils ont raison lorsqu’ils se trompent, vanter leur générosité quand ils sont avares, leur courage quand ils ont peur, leur fermeté quand ils hésitent ; il faut paraître dupe et cacher qu’on les juge ; se faire niaise et minaudière pour les rassurer ; affecter de mesquines vanités, de folles prétentions ; enfin, toutes ces petitesses de femmes dont ils aiment à rire, afin de les maintenir dans cette foi précieuse en leur supériorité, qui leur permet d’aimer une femme comme un jouet qui les amuse, ou comme une esclave qui les adore.

Une femme qui a laissé entrevoir qu’elle pense est dès lors traitée en ennemie. — Un vieux monsieur, dont ai oublié le nom, disait « Méfiez-vous d’un domestique qui sait lire ; il finit toujours par lire vos lettres. » Eh bien, les hommes traitent avec la même défiance les femmes qui savent réfléchir : « Elles finissent toujours par nous juger, » se disent-ils.

Oui, il faut être fausse, car les hommes détestent la droiture dans le caractère d’une femme : trop de franchise les déconcerte ; leur vie est si tortueuse, si pleine de mensonge ; ils sont près d’elle comme une femme malhonnête devant une jeune fille, ils sont gênés, embarrassés ; ils ont peur de leurs paroles, car ils ne peuvent rien dire sans la choquer. Les femmes supérieures, je ne dis pas d’esprit, — les femmes d’esprit sont souvent plus faibles que les autres ; — les femmes supérieures de caractère, à l’âme élevée, à l’esprit net et pur, ressemblent à ces fleurs dont le parfum est si enivrant, que les cerveaux faibles ne peuvent le supporter ; ainsi, pour plaire aux hommes, il faut des esprits terre-à-terre, des fleurs menteuses et insignifiantes, aux couleurs vives, à l’odeur fade : des hortensias et des tulipes, — des femmes enfin qui aient tout juste ce qu’il faut d’intelligence pour les tromper.

Corinne, sans doute, fut bien malheureuse, mais elle ne fut qu’à demi humiliée ; d’abord le souvenir de sa gloire était une compensation à sa douleur ; et puis cette jeune fille qu’on lui préférait était une rivale digne d’elle ! Si Corinne avait pour elle sa renommée, Lucile avait sa candeur,