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Svengred joua longuement. Mozart était son maître de prédilection, dont il comprenait intimement la pensée. En outre, ce soir, il mettait dans son jeu toute la mélancolie, toute la ferveur de sa pure tendresse pour cette jeune femme qui l’écoutait, ignorante de ce noble attachement, absorbée dans le souvenir d’un autre… Enfin le piano se tut. Svengred se leva, fit quelques pas vers Mitsi. Elle parut sortir d’un songe. En regardant le jeune homme, avec un sourire ému :

— Quel charme de vous entendre ! Voyez, les moments ont passé sans que je m’en aperçoive !

Elle désignait la grande et superbe horloge du dix-septième siècle, posée non loin de là, sur un socle de marqueterie.

Svengred s’exclama :

— Comment, déjà cette heure ? Vraiment, j’ai abusé !…

— Pas le moins du monde. La preuve, c’est que je vous demanderai de recommencer demain. D’ailleurs, il le faudra pour Christian, qui n’a pas eu le plaisir de vous entendre ce soir… et qui ne l’aura pas d’ici quelque temps, puisque vous nous annoncez une absence de plusieurs mois.

— Oui, je ne compte pas revenir avant la fin de l’hiver. Là-bas, d’ennuyeuses affaires m’attendent… et de plus, je pars plein de souci, en laissant mon ami malheureux.

Mitsi tressaillit légèrement et détourna son regard de celui du Suédois, chargé de reproche et de tristesse.

Après un court silence, pendant lequel il vit pâlir et palpiter d’angoisse le charmant visage, Svengred reprit d’un ton bas, vibrant d’émotion :

— Serait-ce donc vrai ce qu’il croit ?… Le détestez-vous, cet homme qui vous a manqué gravement,