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LES DEUX FRATERNITÉS

la somme nécessaire pour notre voyage et notre installation.

Ils dressèrent ainsi tout leur plan. Intelligents tous deux, doués d’une certaine culture intellectuelle, d’un esprit net et lucide, possédant les mêmes instincts de grandeur et de luxe et le même égoïsme absolu, ils ne se trouvaient pas démontés devant cette extraordinaire aventure. De plain-pied ils entraient dans leur rôle et échafaudaient leurs combinaisons avec un sang-froid à peine traversé à certains instants par des réflexions dénotant l’ivresse sourde qui remplissait leurs âmes.

Avec l’argent restant de leur paye, ils se donnèrent le luxe d’un déjeuner fin, puis Zélie entraîna son frère dans les magasins élégants. Ils s’attardèrent longuement aux devantures, s’enivrant à la vue de ce luxe hier encore inaccessible pour eux, se grisant à l’étincellement des gemmes précieuses… Puis, lentement, bien à regret, ils revinrent vers leur quartier populaire.

— Oh ! rentrer dans cette bicoque… quand on est ce que nous sommes ! dit Zélie avec une sorte de colère en arrivant devant leur demeure.

— Tâche de ne pas prendre des airs dédaigneux, ça donnerait l’éveil, conseilla Prosper. C’est difficile, je sais bien, car on est maintenant autre chose que tous ces gens-là, mais enfin, il le faut pour le succès de notre petite combinaison.

— On fera son possible, déclara Zélie avec condescendance.

Comme ils arrivaient à la porte du corps de