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LES DEUX FRATERNITÉS

— Je souffre trop. Quel espoir me reste-t-il ? dit-elle tout haut, d’une voix rauque qui résonna étrangement dans l’absolu silence de la nuit. Aujourd’hui, je serai jetée à la rue, il me l’a dit, et il le fera. Il vaut mieux en finir avant.

Un souvenir lui revint tout à coup… celui des paroles entendues un jour du haut d’une chaire catholique : « Le vrai bonheur est dans le sacrifice, dans la lutte pour le devoir, dans la résignation sereine et forte… »

Mais elle secoua la tête en murmurant avec un sombre désespoir :

— C’est bon pour ceux qui croient à l’au-delà. Mais moi, on m’a appris que tout était anéanti à la tombe. Pourquoi, dès lors, le sacrifice et la lutte, pourquoi supporter la souffrance quand la mort peut m’en délivrer ?

Elle se leva tout à fait et marcha vers la porte. Elle l’ouvrit doucement, descendit l’escalier à pas imperceptibles. Dans le vestibule, elle prit la clé de la grille qui s’y trouvait accrochée et tira les verrous de la porte de la maison. Elle s’engagea dans le jardin de devant… Ses pieds chaussés de pantoufles s’enfonçaient dans la neige, un froid intense tombait sur ses épaules couvertes seulement d’une robe de chambre. Mais elle ne sentait rien, elle marchait comme en un rêve terrible.

La grille franchie, elle s’en alla d’un pas étrangement ferme. Par la rue de Béthune, elle gagna la rue Duplessis. Mais ses jambes fléchissaient maintenant, une grande fatigue, un