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LES DEUX FRATERNITÉS

Depuis combien de temps était-elle là, anéantie, glacée, le cerveau bourdonnant ? Un coup sec frappé à la porte la fit sursauter. Elle dit d’une voix éteinte :

— Entrez !

Elle vit apparaître Prosper Louviers. Dans l’état de prostration où elle se trouvait, elle ne remarqua pas tout d’abord la physionomie sombre et dure du député.

— J’ai à te parler, Claudine, dit-il d’un ton glacé. Es-tu souffrante ? Tu as une mine !

— Oui, je ne suis pas bien du tout, répondit-elle de la même voix éteinte.

Il prit une chaise et s’assit en face d’elle. À un autre moment, elle eût été frappée de l’altération de son visage, de son air las et vieilli. Mais aujourd’hui elle ne voyait rien.

— Il faut que nous nous expliquions, Claudine, reprit Prosper d’un ton dur. À force d’instances, j’ai pu arracher à Alexis la raison de… de cet acte de désespoir. Voici ces paroles, mais je ne saurais rendre le ton dont elles ont été prononcées : « Claudine me hait, je ne serai toujours qu’un malheureux. La pensée qu’elle deviendrait ma femme, que jamais elle ne me quitterait pouvait seule me donner la force de vivre dans l’état où je suis réduit. Maintenant, je n’ai plus qu’à quitter l’existence, à me reposer dans le néant. » Et il a ajouté : « Vous ne m’avez pas laissé mourir cette fois, mais ce n’est que partie remise. Je recommencerai. »