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LES DEUX FRATERNITÉS

sement, son cœur s’était donné à lui. Son souvenir avait été pour elle, depuis quelque temps, une sorte d’armure opposée aux ennuis dont elle était accablée dans cette maison. Elle ne s’était pas demandé quelle serait la suite de ce rêve. Malgré l’éducation moderne qu’elle avait reçue, Claudine était demeurée très jeune d’esprit, et elle se laissait aller à la douceur de ce sentiment, heureuse pour plusieurs jours quand elle avait croisé sur l’avenue le jeune officier à cheval et reçu son respectueux salut.

Maintenant, il lui semblait qu’un brisement venait de se faire en elle. Et soudain elle comprenait quelle folie avait été la sienne. Comment avait-elle pu espérer que lui, le grand seigneur, le catholique militant, le vaillant officier français, abaisserait jamais son regard et arrêterait sa pensée sur l’enfant trouvée, la pupille de Prosper Louviers, le haineux sectaire, l’antipatriote !

« Oui, comment ai-je pu ? Comment ai-je pu ?… » murmurait-elle machinalement.

Ses tempes battaient avec violence, elle souffrait de corps et d’âme, d’âme surtout. Il lui semblait que tout s’écroulait autour d’elle, qu’elle se trouvait au milieu d’un désert épouvantable.

— Mais alors, pourquoi suis-je née ? balbutia-t-elle en se tordant les mains. À quoi sert la vie, si elle ne peut m’apporter le bonheur ? Le droit au bonheur ! À quoi me sert-il, si je ne peux jamais être heureuse ?