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LES DEUX FRATERNITÉS

per, son regard assombri enveloppa le jeune infirme.

— Mais certainement ! dit-il d’un ton contraint. Là seulement est la raison de notre existence.

Le gros Morand se laissa tomber dans un fauteuil tout en disant :

— Bonjour, mademoiselle Claudine. Ça va mieux, je vois cela à votre mine. Vous aussi, vous voulez le droit au bonheur ? C’est le titre d’une jolie petite pièce que j’ai vue jouer l’autre jour. La connais-tu, Louviers ? Non ? Tu m’étonnes ! Il s’agit d’une jeune fille pauvre qui épouse un infirme très riche. Quelque temps, elle lui sert de garde-malade, mais il est difficile de caractère, et, bien qu’elle se sente réellement aimée malgré tout, elle se lasse bientôt, elle réclame le divorce, elle veut le droit au bonheur.

Alexis, livide, se souleva un peu sur sa chaise longue.

— Et lui, n’y avait-il pas droit comme elle ? dit-il d’une voix étouffée.

— Ah ! dame, ça, mon garçon ! Il faut toujours bien qu’il y ait des sacrifiés, c’est sûr !

— Pourquoi ? Pourquoi ceux-là ? dit-il, un éclair de révolte dans ses yeux noirs.

Morand eut un gros rire.

— Tu m’en demandes trop ! C’est comme ça, voilà ! À chacun de nous de chercher sa grosse part de jouissances, et tant pis pour les autres !

— Je n’admets pas cela ! dit la voix un peu rauque d’Alexis.