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LES DEUX FRATERNITÉS

bannissait soigneusement de son esprit le souvenir de cette scène provoquée par la visite de Prosper Louviers, à cause de l’impression désagréable, de l’angoisse singulière qu’elle en ressentait.

Elle avait cependant tout raconté à M. de Mollens et à sa femme qui venaient la voir parfois et à qui elle ne cachait rien des différents incidents de sa vie.

— Ce misérable ne manque pas d’aplomb ! avait dit le marquis avec indignation. Il n’a donc plus l’ombre de conscience, pour oser insister encore près de vous dont il a tué le mari, car, en réalité, lui est le grand coupable. Depuis quelque temps, ses discours aux ouvriers sont d’une violence inouïe, et il compte, à la Chambre, parmi les plus forcenés. Sa sœur s’est remariée, elle a épousé un grand dignitaire de la franc-maçonnerie, beaucoup plus âgé qu’elle, mais très riche. Quel triste monde que tout cela !

Un après-midi d’été, Mme de Mollens arriva à Meudon en compagnie de Mlle Césarine. Celle-ci n’aurait pu distraire de son maigre gain de quoi payer ce voyage, si minime qu’il fût, d’autant moins qu’elle venait de recueillir une petite fille aveugle et sourde qui portait à trois le nombre de ses protégés. Mais la marquise, n’ignorant pas le secret désir qu’avait l’excellente vieille fille de revoir sa chère Micheline et les enfants, était arrivée chez elle le matin et lui avait dit :

— Je vais à Meudon et je vous emmène, mademoiselle Césarine.