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— C’est Even à dix ans ! s’écria Mlle de Regbrenz quand le petit garçon lui fut présenté par Alix. Il est impossible de trouver ressemblance plus frappante…

Lui seul, de vous trois, a le type des Regbrenz. Vous, chère Alix, et ce petit Xavier aux grandes boucles êtes les vivants portraits de votre père… Mais quelles préoccupations s’agitent donc dans cette jeune tête ? ajouta-t-elle en fixant sur Gaétan son regard doucement scrutateur.

Elle tenait la main fine et nerveuse du petit garçon debout près d’elle. Les yeux de Gaétan ne se baissèrent pas, mais s’adoucirent subitement.

— Est-ce toujours le regret de Paris, mon cher enfant ? reprit Alix de Regbrenz.

Il secoua énergiquement la tête.

— Non, j’aime ce pays… J’aime tant la mer !… Et je suis très libre ici…

— Alors, pourquoi, mon enfant ?

Il eut un geste vague. Comme tant d’âmes plus avancées dans la vie, l’enfant trop précoce ne pouvait préciser ses aspirations vers un bonheur mystérieux, intangible, un idéal entrevu comme en un rêve, pas plus qu’il ne lui était loisible de définir la lutte sourde et terrible dont son cœur était le théâtre. Le bien et le mal se disputaient à chaque heure ce cœur qui serait, un jour, à l’un ou à l’autre, mais Gaétan subissait leurs sollicitations et y cédait sans en comprendre l’origine et le but.

Pendant que les enfants, accompagnés de miss Elson, suivaient Fanny pour goûter dans la salle à manger, Alix causa longuement de son frère à Mlle de Regbrenz et lui confia ses difficultés vis-à-vis de cette nature si riche, mais déjà étonnamment vibrante à toutes les passions.

— Votre mère était ainsi, Alix. Tout enfant, elle avait des accès d’effrayante colère ou d’invincible