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destinées à attirer plus vite l’attention sur le poison moral contenu dans ces pages… Et c’était lui, le pieux Even d’autrefois, qui nourrissait son intelligence et son cœur de cette littérature éhontée !… lui qui se souillait à cette fange !

Une subite inspiration s’empara de l’esprit d’Alix et, sans réfléchir davantage, elle dit en se penchant vers son frère :

— Va un peu en avant, Gaétan, j’ai un mot à dire à M. de Regbrenz.

Il fronça les sourcils, prêt à résister, mais la voix douce et cependant ferme répéta :

— Va, Gaétan, je viens tout de suite.

Il sortit et Alix s’avança un peu vers Even, qui la regardait avec surprise. La jeune fille était pâle, ses lèvres tremblaient légèrement, mais une force supérieure l’animait, mettant en ses yeux une flamme d’intrépidité.

— Peut-être allez-vous me trouver bien indiscrète, dit-elle en raffermissant de son mieux sa voix émue, mais il s’agit ici de l’âme de mes frères et, en toute conscience, je dois vous parler de mes craintes… Il se peut que, malgré la défense — car, enfin, ils ne sont que des enfants — Gaétan ou Xavier se trouvent quelques instants seuls ici. Or ces livres… (et elle désignait les volumes épars sur une table) ces livres pourraient tomber entre leurs mains…

— Eh bien ? dit rudement Even en tournant vers elle son regard farouche.

— Comment !… Ne comprenez-vous pas le mal que de pareilles infamies causeraient à ces petites âmes ? s’écria ardemment la jeune fille, stupéfaite devant un tel abaissement de sens moral.

Un rire sarcastique s’échappa des lèvres d’Even. C’était la première fois qu’Alix l’entendait, et elle frissonna au son de ce rire infernal…