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d’un ton bas et hésitant. Mais vous savez, il a pris de l’âge, ce n’est plus un jeune homme…

— Mais si, Mathurine, il était beaucoup plus jeune que maman… et, d’ailleurs, quinze ans peuvent changer un visage sans transformer totalement le caractère. Il était aimable et bon, autrefois ?…

— Oh ! oui, mademoiselle ! s’écria Mathurine avec ardeur. Si beau, si bon !… le plus intelligent de son collège !… Et, maintenant, qu’en a-t-elle fait ?…

— Qui donc, Mathurine ?

La Bretonne ne répondit pas et fit un mouvement pour s’esquiver. Mais Alix la retint par le bras.

— Est-ce de sa sœur Georgina que vous voulez parler ?

— Que vous importe, mademoiselle Alix ! Laissez dormir tout cela, croyez-moi… Quand il sera temps de vous défendre, je vous préviendrai.

— Nous défendre ?… Sommes-nous donc en danger ?

— Pas maintenant, pas encore, mademoiselle… Soyez sans crainte pour l’instant.

Elle s’éloigna brusquement afin d’éviter de nouvelles questions, et Alix, un peu oppressée, vint se rasseoir devant le piano. Pendant que ses doigts couraient sur le clavier, son esprit inquiet cherchait à percer les troublants sous-entendus de Mathurine… En réalité, il lui fallait s’avouer qu’elle n’avait pas avancé d’un pas dans la découverte de l’énigme.

Pendant une heure, elle joua ainsi, faisant succéder Rubinstein à Chopin, Saint-Saëns à Schumann. Inlassable, Mme de Regbrenz l’écoutait en retenant son souffle… Mais six heures sonnèrent à la pendule de Sèvres et la jeune fille se leva vivement.

— Voici l’heure du dîner… Venez, chère grand-mère, dit-elle en aidant la vieille dame à se soulever.