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À certains instants, Alix se demandait si la raison n’était pas absente de chez cet être singulier… Mais un éclair traversant ce regard morose venait tout à coup le transformer, en révélant des profondeurs insoupçonnées… Éclair, oui, car, tout aussitôt, Even reprenait son apparence nonchalante et maussade.

En réalité, à part cette glaciale indifférence de sa parenté, Alix reconnaissait que la vie, pour eux trois, était paisible et aussi heureuse qu’elle le pouvait être après leur malheur… Une seule chose lui manquait : son piano, que Georgina avait définitivement placé dans le grand salon restauré. Ennuyée de devoir descendre et craignant de mécontenter ses bizarres parents, la jeune fille ny avait pas touché depuis son arrivée.

Cependant, cet après-midi-là, après avoir changé ses vêtements mouillés, elle se sentit peu en veine de travail : il lui vint un vif désir d’interpréter ses auteurs préférés. Laissant les deux enfants jouer sous la surveillance de miss Elson, elle descendit et gagna le grand salon.

Cette pièce était maintenant méconnaissable. Tendue d’étoffe claire à semis légers, ornée de l’élégant mobilier Louis XVI et des objets précieux choisis jadis par M. de Sézannek, elle offrait une apparence de luxe artistique et discret… Bien en évidence, Georgina avait fait placer un tableau représentant ses parents à l’époque de leur mariage. Cette toile, signée d’un nom célèbre, était une épave de la richesse passée.

Alix la voyait pour la première fois et, longuement, elle considéra le mâle et beau visage de M. de Regbrenz, la délicate physionomie de la jeune comtesse. Étaient-ce vraiment les mêmes êtres que les deux vieillards toujours cloîtrés dans le sombre salon de la tour ?… Où était l’expression joyeuse et