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de la tour, où vous avez déjà porté des meubles, dit Alix d’un ton résolu.

Ils rebroussèrent chemin et la jeune fille s’apprêta à les suivre. Mais Gaétan arrêta sa sœur et, la regardant dans les yeux, demanda :

— Alix, va-t-elle garder la chambre de maman ?

Sur le geste affirmatif qui lui répondît, l’enfant crispa les poings, et son jeune visage se contracta sous l’empire d’une émotion puissante.

— C’est une voleuse !… Dis, dis, Alix, elle n’a pas le droit ? fit-il avec colère.

Il était prudent d’atténuer, autant que possible, l’impression produite sur cette nature passionnée. Comprimant sa propre amertume, Alix dit doucement :

— Voyons, n’exagère pas, Gaétan ! Elle ne prend rien du tout, mais se sert de ce mobilier en attendant qu’il nous soit nécessaire. Certes, il eût été plus délicat de sa part de nous en parler auparavant, mais, après tout, elle était la sœur de maman…

Combien cette parole lui coûta à prononcer ! Elle avait l’intuition que sa mère, de son vivant, eût préféré la dernière des étrangères et des mendiantes à sa sœur aînée… Mais aujourd’hui, dans le calme de l’éternité, elle devait avoir tout pardonné. Il valait mieux, de toute façon, laisser ignorer à cet enfant les lamentables dissensions de famille et les torts de sa tante, de plus en plus probants maintenant.

Gaétan avait baissé la tête et, quelques minutes, demeura silencieux. Sa petite main caressait machinalement la rampe de vieux chêne, usée par les générations de ses ancêtres maternels.

— Non, Alix, elle n’en a pas le droit ! déclara-t-il tout à coup énergiquement. Maman ne l’aimait pas du tout, et elle n’aimait pas maman.

— Comment le sais-tu, Gaétan ?