Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guise, je ne m’en inquiète plus maintenant… Oui, le monde est stupide, véritablement !… N’ai-je pas raison, mon garçon ?

Il s’adressait à Gaétan, avec un ironique sourire qui relevait sa lèvre mince sur ses dents encore subsistantes.

— Je ne crois pas, grand-père, dit gravement l’enfant. Il y a des gens très bons…

— Petit sot !… Personne n’est bon, entends-tu ! s’écria aigrement le vieillard, dont la voix, pour la première fois, s’éleva à un diapason un peu haut.

Il s’était redressé sur son fauteuil et une sorte d’animation se lisait dans ses yeux verdâtres.

— En as-tu connu, des gens réellement bons ?

— Oui, oh ! oui, beaucoup ! Il y a d’abord ma sœur Alix…

— Tu pourrais nommer avant notre cher père et maman, si noble et bonne…

Le cœur d’Alix battait fortement, tandis qu’elle se jetait ainsi avec courage sur ce terrain inconnu… L’effet fut instantané. M. de Regbrenz se renversa dans son fauteuil et, sur son visage ravagé par l’âge, sa petite-fille put discerner une émotion violente, mélange de colère et de terreur.

— Ma petite, veuillez vous abstenir de parler ici de… votre mère, dit à l’oreille d’Alix une voix un peu sifflante. Jamais mon père n’oubliera le passé.

En tournant la tête, Alix rencontra deux yeux étincelants et, sous la flamme de colère s’en échappant, elle frémit un peu. Dans ces prunelles fascinantes, il lui sembla lire soudain une mystérieuse menace… mais, courageusement, elle se redressa en répondant avec énergie :

— Eh quoi ! madame, voudriez-vous empêcher des enfants de parler de leur mère ?… Au moins faudrait-il leur en donner des raisons.

Mme Orzal s’était ressaisie complètement. Son re-