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rants, il sera un obscur missionnaire, dit Even continuant tout haut sa pensée.

Alix tressaillit et murmura :

— Vous le saviez, mon oncle ?… Oh ! qui aurait pensé cela ?

Il quitta la fenêtre et se rapprocha d’elle. Une infinie compassion se lisait dans le regard qu’il attacha sur ce visage un peu altéré par la récente communication de Gaétan.

— Oui, qui aurait cru Gaétan fait pour une telle vie ? Lui, l’enfant avide de louanges, passionné de bien-être et d’indépendance…, lui, riche, noble, doué d’une si haute intelligence et peut-être destiné à la gloire littéraire, le voici renonçant à tout ! Il sera un pauvre missionnaire… pauvre aux yeux des hommes, mais combien grand et saint et heureux devant Dieu !… Alix, ma pauvre Alix, cette pensée ne vous console-t-elle pas ? dit-il doucement en se penchant vers elle.

— Oh ! je ne me plains pas ! s’écria-t-elle avec ardeur. Je souffre, mais je bénis Dieu, car j’ai tremblé maintes fois pour cette petite âme agitée de terribles tempêtes. Le voir enfin au port est pour moi un soulagement ineffable… Mais il partira, mon Gaétan…

Ces mots s’échappèrent de ses lèvres comme un gémissement. Even se pencha davantage et prit les petites mains froides.

— Ma pauvre enfant, cela était inévitable. Gaétan n’est pas fait pour les sentiers ordinaires. Dans le mal, il eût été terrible, et il sera héroïque dans le bien. Il faut à cette nature des sacrifices sanglants… Vous aurez encore Xavier, Alix.

— Oui, quelques années, et ensuite il s’en ira, ici ou là… J’ai tout accepté, je ne regrette rien, mais il est permis à nos pauvres cœurs de souffrir, de crier grâce au premier moment.