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— Mais où ? murmura-t-elle pensivement. Fort heureusement, mon oncle, vous serez là, maintenant, pour partager ma responsabilité.

Dans le regard d’Even passa une soudaine et intense expression de regret, vite effacée cependant.

— Oui, ma nièce, dit-il fermement, je le conduirai avec vous jusqu’à l’heure critique où il choisira définitivement sa voie… J’aurai moi-même, pendant ces années, une tâche sacrée à remplir. Ce qui reste de notre fortune — c’est-à-dire Bred’Languest et deux petites fermes — a été engagé par Georgina, au nom de mon père, pour apaiser des créanciers trop pressants. J’ai donc à libérer notre vieux logis et à solder les dettes encore existantes… et je ne le puis faire que par mon travail, puisque je ne possède plus un sou vaillant. Par ses relations, Alix de Regbrenz m’a procuré une place chez un armateur de Nantes…

— Oh ! mon oncle, est-ce possible ? Quoi, vous, si libre, iriez vous assujettir à ce travail !

Un sourire heureux illumina le grave visage d’Even.

— Oui, je vais travailler, Alix, pour réparer mes longs jours oisifs et coupables, pour opérer ma réhabilitation, pour redevenir un homme, en un mot. D’ailleurs, j’ai eu part à cette ruine de notre famille ; à une funeste époque de ma vie, j’ai follement, odieusement gaspillé cet argent toujours rare chez nous… Ne me plaignez pas, Alix, je vous assure que je n’ai jamais eu le cœur plus allègre qu’en ce moment.

— Oh ! je le crois ! dit-elle vivement. Mais alors, mon oncle, vous allez partir ?

Une ombre descendit sur le front d’Even. Il tourna la tête et, longuement, considéra les flots teintés de vert pâle, voilés d’une brume d’or…, cet Océan magnifique qu’il aimait avec la passion de