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notre famille ?… Oh ! misérable !… Et si longtemps je l’ai crue, écoutée !

La physionomie profondément altérée de Mme de Regbrenz exprima une soudaine agitation. La mourante avait-elle compris les paroles qui venaient d’être prononcées ?… Toujours est-il que ses mains se tordirent sur le drap dans un mouvement de douleur, tandis qu’un faible gémissement s’échappait de ses lèvres.

— Qu’avez-vous, maman, chère maman ? dit Even en baisant avec une tendresse émue le front couvert d’une légère sueur.

Il avait été son enfant préféré et lui avait aimé d’un amour indulgent, un peu protecteur, cette mère faible, gracieuse et douce. Mais, en même temps que toutes ses affections anciennes, ses croyances et ses joies pures, ce sentiment filial s’était voilé pendant de longues années ; l’égoïsme, l’amer désespoir avaient effacé l’image maternelle… Et elle, la pauvre femme, qu’une tendresse enveloppante eût peut-être enlevée à sa paisible démence, n’avait plus reconnu, en cet être déchu, son fils, son bel Even au cœur aimant. Ils avaient vécu longtemps côte à côte comme des étrangers, séparés par une barrière invisible qui était l’œuvre de Georgina.

Aujourd’hui, la lumière irradiait de nouveau ces intelligences ressuscitées à la vie morale et une joie surhumaine venait jeter un dernier rayon sur le visage mourant de la mère. Elle souleva un peu sa main, caressa longuement, tendrement, la figure d’Even, comme s’il eût été encore un petit enfant… Puis cette main déjà froide se posa sur la tête d’Alix agenouillée contre le lit. La jeune fille prit le crucifix posé sur la table et le tendit à Even, qui l’approcha des lèvres de sa mère… En baisant l’image bénite du Sauveur, Mme de Regbrenz laissa échapper le dernier soupir.

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