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— Mon petit Gaétan !… Oh ! mon Dieu, pitié !… sauvez-le !

Tout à coup, une exclamation de Mathurine fit tressaillir Even et la jeune fille. La Bretonne, qui errait comme une âme en peine au milieu des roches, venait de se baisser pour ramasser un objet.

— Monsieur, mademoiselle, venez !

C’était un porte-monnaie, un charmant petit porte-monnaie en cuir de Russie donné par Alix à son frère, l’année précédente. La jeune fille le saisit et le pressa fiévreusement contre sa poitrine.

— Où es-tu, mon petit frère ?… Est-ce dans cette mer effrayante ?… ou brisé sur ces rochers ?… Oh ! mon Dieu !

Even ne se sentait pas la force de prononcer des paroles de consolation. Pour lui, le doute n’existait plus. Puisque Gaétan avait été amené jusqu’ici et qu’il demeurait invisible, il avait inévitablement péri… À quoi bon, dès lors, tenter d’abuser la malheureuse enfant quelques minutes de plus ?

Mais qui était l’être infâme auteur de ce rapt ?… Qui chercher, qui soupçonner ?

Machinalement, Even releva la tête et son regard rencontra une vague ligne blanchâtre en haut de la falaise. C’était l’élégante balustrade de pierre terminant les jardins de la villa Maublars… et une illumination se fit dans l’esprit d’Even. Comment n’avait-il pas songé à celui qui avait déjà introduit le malheur dans sa famille, cet être capable de tout, il en avait eu la preuve ? Oui, Roger Maublars, seul, pouvait accomplir ce crime, car lui seul, après Georgina, y avait intérêt…

Non un intérêt matériel, mais l’affreuse et passionnante joie de la vengeance. Du même coup, il atteignait Even, son insulteur, Alix, l’enfant innocente dont le pur regard l’avait condamné… et, par une

haine rétrospective dont ce cœur pervers était certes

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