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un matin d’automne maussade et pluvieux, nous fûmes unis dans la petite chapelle du couvent.

» Je ne puis encore songer sans un serrement de cœur à ces jours de fiançailles, à l’année qui suivit mon mariage. En apparence, j’étais une fiancée heureuse et aimée, une jeune femme adulée, comblée de félicités… En réalité, quelque chose s’était brisé en moi. C’était ma jeunesse, avec sa fraîcheur d’impressions, ses radieuses illusions et ses affections premières. Les passions violentes longtemps assoupies se réveillaient, des ferments de haine bouillonnaient dans mon cœur, m’inspirant un aveugle ressentiment contre tout ce que j’avais aimé et tout ce qui se rattachait de quelque façon à ce douloureux passé : la Bretagne, mon cher pays, la mer, pour laquelle j’avais de perpétuelles admirations, notre vieux manoir…, toi-même, mon Alix, et mon cher Even, ma pauvre maman, tout ce qui portait le nom des Regbrenz ou avait avec eux quelques rapports. Le coup affreux donné à ma tendresse filiale et à mon orgueil, c’est-à-dire aux sentiments les plus vivaces en moi, semblait avoir brisé tout lien avec le passé.

» Cette tendance était fortement encouragée par mon mari qui ne pouvait oublier ce que j’avais enduré à Bred’Languest et, afin de me voir rompre plus facilement avec ses tristes souvenirs, il m’emmena, dès le soir de notre mariage, loin de cette Bretagne redoutée, vers les rives enchantées de la Méditerranée. Ce fut alors que tu reçus de moi une courte lettre t’annonçant mon mariage et signée Gaétane de Sézannek. En mon cœur, j’avais rompu toute attache avec les Regbrenz…

» Plusieurs fois, je pensai à écrire à Even ou à toi, Alix, mais toujours l’orgueil m’arrêta ; une sorte de mauvaise honte me faisait redouter, de votre part, une dure réponse, bien méritée par mon