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» Et ce fut quelques jours après que Philippe de Sézannek arriva à Bred’Languest. Sa présence me fut un soulagement, en ce sens qu’elle interrompit, forcément, les témoignages d’irritation de mon père, lequel était fort courroucé de mon refus d’épouser Maublars. Du même coup, elle dissipa la sombre humeur dont s’enveloppait ma sœur depuis cette même demande en mariage. Georgina déploya, en faveur de notre hôte, sa grâce incontestable et son esprit si brillant, si souple, et, pourtant, ce fut moi que Philippe choisit, moi, la cadette détestée. Le jour où il fit sa demande à mon père, Georgina vint m’attendre au seuil de ma chambre et, me saisissant le bras, plongeant dans mon regard ses prunelles dilatées par la haine, elle murmura avec un accent impossible à rendre :

» — Tu m’as pris le cœur de Roger ; maintenant c’est l’autre… Malheur à toi !

» Brutalement repoussée par elle, je ne dus qu’à la proximité d’un meuble de ne pas tomber… Dès le lendemain, je compris que ces menaces n’étaient pas vaines. Mon père, qui avait d’abord paru favorable à la demande de Philippe, refusa en alléguant d’imaginaires raisons de santé. En vain je le suppliai, en vain M. de Sézannek revint à la charge… Le mauvais génie avait passé par là. Mais nous nous aimions fortement, sincèrement, et nous résolûmes d’attendre, aussi longtemps qu’il le faudrait, ce consentement dont je ne voulais me passer.

» À la révélation de cette affection entière et désintéressée accordée à la pauvre déshéritée que j’étais alors, mon bonheur avait été si profond que, sans hésiter, j’avais dit oui. Songe donc, Alix, j’allais être délivrée de persécutions chaque jour plus pénibles : j’étais aimée, je serais enfin heureuse !… Mais voici qu’à la réflexion un scrupule me vint. Les Regbrenz n’étaient-ils pas devenus indignes de s’allier