Alors je pensais aux trains des trop blessés, aux trains qui reçoivent à Genève la palme d’un dur calvaire, aux trains pour qui les femmes de Suisse ont tant de fleurs et tant de larmes et qui portent le goût de la France avant même de retrouver la frontière de France.
Il est rentré beaucoup de « grands blessés ».
J’essayais de ne plus penser. Quelle monstrueuse mutilation expliquait le retour de Claude Arzeu parmi ces hommes qu’on nous rend par lambeaux ? Ses bras, non, quelle horreur ! Ses jambes, une jambe, pouâh, comment croire que ce corps d’harmonie et de santé fût diminué ? Une main, peut-être, ou quelque chose au visage, ou quoi ? Ah ! quelles horribles images me hantèrent, que j’essayai toujours de chasser par l’image connue de cet athlète souriant, campé sans insolence dans la lutte humaine.
Je le vis cul-de-jatte. Je le souhaitai mort.
Je m’assoupis quelques instants au matin et lâchai, au réveil, de me maîtriser assez pour paraître sans épouvante devant l’épouvantable.
Anna m’attendait à la gare. Il me parut qu’elle avait les joues moins rouges et les yeux un peu creusés, mais c’étaient là des marques d’angoisse que je lui avais vues quelques mois avant, au temps où j’allais avec elle faire des recherches