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Qu’est devenu l’ombrage où, si belle et si tendre,
À son amant surpris et charmé de l’entendre
La Valière apprenoit le secret de son cœur,
Et sans se croire aimée avouoit son vainqueur ?
Tout périt, tout succombe ; au bruit de ce ravage
Voyez-vous point s’enfuir les hôtes du bocage ?
Tout ce peuple d’oiseaux fiers d’habiter ces bois,
Qui chantoient leurs amours dans l’asile des rois,
S’exilent à regret de leurs berceaux antiques.
Ces dieux, dont le ciseau peupla ces verts portiques,
D’un voile de verdure autrefois habillés,
Tous honteux aujourd’hui de se voir dépouillés,
Pleurent leur doux ombrage ; et, redoutant la vue,
Vénus même une fois s’étonna d’être nue.

Croissez, hâtez votre ombre, et repeuplez ces champs,
Vous, jeunes arbrisseaux ; et vous, arbres mourants,
Consolez-vous. Témoins de la foiblesse humaine,
Vous avez vu périr et Corneille et Turenne :
Vous comptez cent printemps, hélas ! et nos beaux jours
S’envolent les premiers, s’envolent pour toujours !

Heureux donc qui jouit d’un bois formé par l’âge ;
Mais trop heureux aussi qui créa son bocage !