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Toi donc, qui, mariant la grâce et la vigueur,
Sais du chant didactique animer la langueur,
Ô muse ! si jadis, dans les vers de Lucrèce,
Des austères leçons tu polis la rudesse ;
Si par toi, sans flétrir le langage des dieux,
Son rival a chanté le soc laborieux ;
Viens orner un sujet plus riche, plus fertile,
Dont le charme autrefois avoit tenté Virgile.
N’empruntons point ici d’ornement étranger ;
Viens, de mes propres fleurs mon front va s’ombrager ;
Et, comme un rayon pur colore un beau nuage,
Des couleurs du sujet je tiendrai mon langage.

L’art innocent et doux que célèbrent mes vers,
Remonte aux plus beaux jours de l’antique univers.
Dès que l’homme eut soumis les champs à la culture,
D’un heureux coin de terre il soigna la parure ;
Et plus près de ses yeux il rangea sous ses lois
Des arbres favoris et des fleurs de son choix.
Du simple Alcinoüs le luxe encor rustique
Décoroit un verger. D’un art plus magnifique
Babylone éleva des jardins dans les airs.
Quand Rome au monde entier eut envoyé des fers,