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Mon œil épouvanté ne voit plus deux taureaux ;
Ce sont deux souverains, ce sont deux fiers rivaux,
Armés pour un empire, armés pour une Hélène,
Brûlant d’ambition, enflammés par la haine.
Tous deux, le front baissé, s’entrechoquent ; tous deux,
De leur large fanon battant leur cou nerveux,
Mugissent de douleur, d’amour et de vengeance.
Le vaste olympe en gronde, et la foule en silence
Attend, intéressée à ces sanglans assauts,
A qui doit demeurer l’empire des troupeaux.
Voulez-vous un tableau d’un plus doux caractère ?
Regardez la genisse, inconsolable mère :
Hélas ! Elle a perdu le fruit de ses amours !
De la noire forêt parcourant les détours,
Ses longs mugissemens en vain le redemandent.
A ses cris, que les monts, que les rochers lui rendent,
Lui seul ne répond point ; l’ombre, les frais ruisseaux,
Roulant sur des cailloux leurs diligentes eaux,
La saussaie encor fraîche et de pluie arrosée,
L’herbe où tremblent encor les gouttes de rosée ;
Rien ne la touche plus : elle va mille fois
Et du bois à l’étable, et de l’étable au bois ;
S’en éloigne plaintive, y revient éplorée,
Et s’en retourne enfin, seule et désespérée.
Quel cœur n’est point ému de ses tendres regrets !
Même aux eaux, même aux fleurs, même aux arbres muets,