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UNE NUIT DANS LA CITÉ DE LONDRES.

contre les autres seraient les expressions exactes pour peindre ces logements misérables. Le premier étage et le second sont divisés en compartiments comme les cadres des vaisseaux. La chambre avait en longueur à peu près trente-cinq pieds sur vingt-cinq de largeur et contenait quatre-vingt-dix-neuf personnes ! Dans ces cadres, cinq ou six corps humains, hommes, femmes ou enfants vêtus de haillons ou dépouillés de leurs vêtements se disputaient le ridicule espace laissé à chacun. L’amélioration consiste en ce que les cadres supérieurs ont été enlevés, ce qui doublait naturellement le nombre des habitants, et que le cadre au niveau du sol est le seul qui reste dans ces sortes d’armoires vivantes. Vous auriez vu là de pauvres visages épuisés par la fatigue et la faim, des enfants à moitié étouffés près de leurs parents serrés eux-mêmes à mourir ; une vermine terrible avait obligé la plupart à enfreindre le règlement et à sortir du cadre, pour le traîner au milieu du passage laissé libre, le matelas souillé servant de lit. Le manque presque absolu de ventilation mêlait à l’air déjà raréfié par la présence de tant de monde des puanteurs affreuses, et de temps en temps les soupirs et les aspirations de ces malheureux cherchant dans un sommeil de plomb une atmosphère plus saine complétaient l’impression plus que douloureuse de ce tableau. Je vois d’ici une pauvre femme assise sur le matelas entre ses trois enfants endormis à ses genoux et deux hommes inconnus : la malheureuse créature tenait sa tête avec ses deux mains, et lorsque la lanterne sourde du logeur dirigea sur son visage les rayons de la lumière, elle leva vers nous de grands et beaux yeux étonnés et rendus stupides.

— Pourquoi ne dormez-vous pas ? lui demandai-je en allemand.

— Monsieur, cela m’est impossible, à cause de la vermine.

— D’où êtes-vous ?

— De Nuremberg.

— Où allez-vous ?

— À New-York.

— Quoi faire ?

— Retrouver mon mari qui vit seul depuis deux ans.

— Il faut dormir, ajouta un de mes compagnons, vous ne pouvez pas rester ainsi. Monsieur ***, en se tournant vers le logeur, veillez à ce que les lits ne sortent plus des cadres, vous savez que cela ne doit pas être, et là-dessus nous redescendîmes.