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UNE NUIT DANS LA CITÉ DE LONDRES.

coup un bruit se fait entendre, il se rapproche, se rapproche, la femme met la main sur son cœur et un énorme matelot tombe dans ses bras en l’embrassant éperdument et fort explicitement aussi. À ces baisers, la dame reconnaît son amant, mais croit le reconnaître désagréablement, c’est-à-dire, pour m’expliquer plus clairement, elle déclare ne pas retrouver, dans son matelot de prédilection, la douce inexpérience des premières caresses ! De là, scènes de jalousie, emportement contre les voyages qui modifient les hommes et les développent tant quand il ne le faudrait pas, etc., etc., etc. ; puis raccommodement et nouveaux baisers, le tout accompagné d’une pantomime qui ne laisse rien à désirer. Vous pouvez juger des rires de l’auditoire aux passages lestes, les cris d’approbation ou d’improbation des femmes. Dans une autre de ces salles, le White-Swan, cygne blanc, ou le Paddy’s goose comme l’appellent les habitués, nous entendîmes l’apologie du mariage faite par un pauvre chanteur enroué et maladif. Aussi fut-il hué par les dames de la société pendant l’énumération qu’il fit des avantages de cette institution, et, au contraire, couvert d’applaudissements quand il eut à parler de ses inconvénients. Tout le temps que duraient ces chansons, le tabac, l’ale, le gin, le whisky, l’eau-de-vie circulaient, et femmes et hommes en absorbaient des quantités effrayantes. Ces petites salles sont assez élégantes d’apparence, bien ornées de dorures, avec de jolis lustres ; elles sont au fond des cabarets et à l’arrière-boutique. On y entre pour deux, trois ou quatre pences, c’est la consommation qui paye les dépenses, et plus d’un de ces endroits vaut à son propriétaire des revenus considérables.

Après avoir visité sept ou huit de ces salles, mes compagnons m’annoncèrent que nous allions rentrer dans le monde de la première taverne dont celui-ci est un peu différent, c’est-à-dire que ce sont des vagabonds et des fainéants au lieu d’être des voleurs et des brigands. Je vous avoue que, n’ayant pas l’expérience de ces messieurs, je n’avais pas trop remarqué la distinction. Le Coq of Neptune nous tendait les bras et notre véhicule nous y conduisit en peu de temps. Là encore il fallait bien regarder sans se permettre de questions oiseuses dans l’intervalle ; le Coq of Neptune fait le coin d’une rue assez large et l’extérieur est celui de toute taverne du monde, fort propre, appétissante et bien éclairée ; mais à peine a-t-on fait tourner sur ses gonds la double