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UNE NUIT DANS LA CITÉ DE LONDRES.

qui causaient et jouaient paisiblement, d’autres lisaient dans la bibliothèque, d’autres examinaient une publication à gravures à laquelle ils s’étaient abonnés en commun ; le tout respirait un bien-être introuvable dans les maisons ignobles qu’ils habiteraient sans cette précaution.

Eh bien, beaucoup d’entre eux se refusent à reconnaître l’avantage de pareilles maisons. Ils croient voir l’esclavage dans la règle, bien légère pourtant, qui gouverne ces établissements où ils ne sont rien moins qu’esclaves, et ils préfèrent ce qu’ils appellent la liberté avec la misère et le dénuement. Aussi, et jusqu’à ce que l’habitude en soit bien prise, les gens dont les capitaux sont engagés dans cette belle œuvre de bienfaisance ne retireront-ils pas un gros intérêt de leur argent. Pour ceux qui ont agi avec la conscience du bien à faire à de pauvres gens, ils n’ont pas recherché la spéculation et seront assez récompensés par le résultat ; si les autres l’ont recherchée, tant pis pour eux : il faut qu’il en coûte un peu pour se montrer bienfaisant une fois qu’on s’en mêle.

— Maintenant, Monsieur, me dit malicieusement un de mes compagnons, vous venez de voir ce que les ouvriers appellent parfois de l’esclavage, je vais vous faire connaître ce qu’ils appellent la liberté.

Le fiacre repartit, et, au bout de cinq minutes, nous mimes pied à terre à l’entrée d’une ruelle d’assez mauvaise apparence.

— Vous allez faire connaissance avec des voleurs, Monsieur, me dit-on ; cela ne vous fera pas peur ? Et nous frappâmes à la porte basse d’une maison à travers les volets de laquelle on n’apercevait aucune lumière. Tout d’un coup la flamme blanche d’un bec de gaz nous éblouit, et un vieil homme, en habits fort sales, ouvrit la porte tout entière. Le comptoir d’un cabaret borgne nous faisait face dans une chambre assez basse ; une cheminée pleine de charbon allumé à droite ; à gauche, un buffet avec quelques assiettes ébréchées ; tout autour, des bancs sur lesquels se tenaient une demi-douzaine d’hommes et autant de femmes. Les hommes étaient en général jeunes ; pas un n’avait plus de vingt-six à vingt-neuf ans. Les femmes étaient jeunes également, mais pouvaient accepter, relativement à leur âge, toutes les suppositions, tant leurs traits étaient décomposés par la débauche, tant les rides précoces et l’épuisement prématuré d’une vie de désordre et d’ivrognerie avaient marqué de traces sur leurs visages. Elles étaient à peu