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UNE NUIT DANS LA CITÉ DE LONDRES.

Toute la partie de l’Écosse qui se trouve sur les confins de l’Angleterre est une suite de montagnes rondes et nues sur lesquelles quelques cottages assez pauvres récoltent des carrés de terre médiocrement fertiles ; mais dès qu’on atteint les environs de Chester, on rentre en pleines richesses et en pleines manufactures. On fait ses cent vingt lieues sans peine et on voit Chester le soir, Chester avec son château fort et son fromage plus fort encore. Cette ville est intéressante à visiter par suite d’une vieille muraille, ceinture de la forteresse et bien conservée. La pauvre muraille, bâtie sur le centre de la cité actuelle, entourait jadis la place et servait à une défense très-puissante ; mais combien elle a dû se trouver humiliée lorsque de toutes parts avec le progrès, les années et les constructions, elle a vu les maisons se presser à ses pieds, s’adosser à ses flancs et l’étouffer de leurs briques et de leurs cheminées. Aujourd’hui ce rempart n’est plus qu’un ruban qui sillonne la ville en élevant parfois au-dessus d’elle les ruines de ses tours démantelées et sur lequel, grâce à une balustrade ou à des maisons qui en tiennent lieu, on s’en va cheminant, souvent à la hauteur d’un premier étage, souvent au-dessus d’un toit en tuiles rougeâtres. Au centre de la forteresse s’élève une église crénelée, parce qu’il faut bien mettre des créneaux partout. Cette chapelle étend aussi loin qu’elle le peut les bras écourtés de sa croix latine, pendant que tout alentour des pierres noires surmontées d’inscriptions apprennent aux fidèles qu’il faudra un jour rejoindre sous terre les anciens de Chester. Dans ce coin de la muraille on côtoie un ruisseau qui tombe en cascades, dans cet autre on traverse une rue à l’aide d’un pont, et l’on voit sous ses pieds les réverbères et les passants ; ici on croise le champ de courses, là on passe sous la caserne. Nous faisions cette promenade semi-aérienne le soir à dix heures, et en atteignant cette caserne, la lune, venue là tout exprès pour nous, fit saillir la silhouette dentelée de ce bâtiment noir, pendant que sur un pli de terrain en avant d’une poterne, les buffleteries blanches d’une sentinelle promenaient les ennuis d’une faction sans intérêt. Nous pouvions nous croire au Cirque olympique et attendre qu’au moment donnée, les Français accourus en foule par les coulisses, vinssent tuer ce soldat et investir la place ; mais le son le plus bouffon vint nous rappeler à nous-mêmes ; c’était la musique militaire qui jouait la retraite à l’intérieur : grâce aux coups réguliers trois par trois de la grosse caisse, et aux sons aigres doux d’un