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LES FABLES
LE SATYRE ET LE PASSANT (V, 7).


D’ung homme et de Satyrus, dieu champestre.

Ung homme par sa diligence fist tant qu’il acquist l’amour d’un dieu champestre nommé Satyrus, et ung jour estoientles dis amis, Satyrus et l’Omme ensemble a table, ou ilz faisoient bonne chiere et ou ilz furent longuement tant que le dessus dict homme, amy du dict Satyrus, pour raison de la froidure qu'il faisoit, eust froit aux mains et a ceste cause approucha ses dites mains a sa bouche pour icelles eschauffer de son alayne. Ce voyant par le dict Satyrus luy demanda pourquoi il souffloit ainsi en ses mains. Et l’autre luy respondit : « Je eschauffe et refocille mes mains engelees de la chaleur de ma bouche ». Peu de temps après, on leur apporta un mès de viande laquelle estoit tres chaude. Ce voyant par le dict Satyrus, Dieu champestre, que son amy, avant qu’il meist le morseau en sa bouche, le souffloit affin que par inspiration de son alaine il refrigerast la chaleur de la viande, demanda a son amy pourquoy il souffloit et inspiroit ainsi sur la dicte viande. Et il luy respondit que ce faisoit il affin qu’il refroidist sa viande avec la bouche. Et lors le dict Satyrus lui dist : « Veue ta confession, je proteste que jamès je n’auray amitié avecques toy, attendu que d’une mesme bouche tu produitz, engendres et rejettes froit et chault, qui sont choses contraires ».