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DE LA FONTAINE

conque. Et incontinent le dit rognart se jetta sur le chevreau, et sortit hors facilement du ditpuys. Et, ce faict, so print le dict Regnart a danser et saulter sur le bort du dict puys, de joye qu’il avoit d’estre ainsi eschapé par son astuce et malicieuse callidité, et ne luy souvint ne n’eut aucun soing de tirer ne mettre hors le povre chevreau, lequel estoit demouré en la profundité et obscure tenebrosité du dit puys. Et a cpste cause le dict chevreau accusoit le Regnart de foy mentie et de ce qu’il avoit froissé et rompu sa promesse. Mais ledit regnart n’en tenoit conte, ains luy disoit par manière de moquerie : « Chevreau, se tu eusses eu autant de sens en ta pensee comme tu as de poil au menton, tu ne fusses pas descendu ou dit puy jusques a ce que tu eusses avisé et espié les moyens, voye et maniere par lesquels tu te peusses tirer et mettre hors du dict puys quant bon t’eust semblé. »

Sens moral. — Ce dessus dict Apologue, fable ou facecie, quant au sens moral veult donner a entendre a chascun homme prudent qu’il regarde bien soigneusement quant il se associera ou accompagnera avecques aucun pour quelque chose faire, que celuy avec lequel il se accompaignera ne le déçoive, en regardant la fin de l’entreprinse et la sortie de la chose avant que le faire ne entreprendre.

(Guill, Tardif, Apol. de Laurent Valla, 147, Marchessou.)